
Ces temps-ci, avec la multiplication des mots et des images qui nous arrivent via les multiples écrans qui nous servent à regarder le monde, à en être témoin, nous avons de plus en plus de miroirs dans lesquels nous regarder. En fait, de plus en plus de personnes autres que soi à observer, et souvent à juger, critiquer, commenter. Cette situation nous incite souvent – plus qu’avant ? – à se perdre à l’extérieur de soi.
À regarder vivre le monde dans nos écrans, on s’y perd bien souvent.
Comme nos yeux regardent principalement vers l’extérieur, nous sommes souvent distraits de nous-même. Soit nous nous comparons, pour le meilleur ou pour le pire, et ainsi soit nous nous consolons ou nous nous abaissons devant meilleur ou mieux que nous. Du moins ce que nous jugeons ainsi.
Pourtant, les autres n’existent pas. N’existe que notre perception des autres.
Si nous étions capables de se regarder soi-même, de ne pas nous perdre et de vraiment contenir notre regard et, comme on disait ici hier grâce aux mots d’Anaïs Nin, de réaliser qu’on ne voit jamais les choses telles qu’elles sont, mais plutôt telles que nous sommes, nous serions conscients que peu importe ce que l’on regarde en dehors de soi, ce n’est au fond toujours seulement soi que l’on observe. Diverses facettes de soi-même, diverses parties. Certaines plus belles, d’autres moins. Mais tout part toujours de soi et revient toujours à soi. Toujours que soi le monde.
On dit que notre regard vers l’extérieur pointe toujours vers quelque chose qui nous attire en particulier pour une raison précise. Que l’extérieur nous invite à voir en nous ce que l’on admire, ou ce que l’on abhorre (1). Pour le sortir de soi. Car si on peut voir quelque chose à l’extérieur de soi, ce quelque chose devient extérieur à nous. Très pratique pour les parties de soi qu’on ne peut accepter.
Que notre regard soit porté vers quelque chose en particulier à l’extérieur de nous ne serait pas le fruit du hasard. Cela pointerait de façon moins que plus consciente vers quelque chose qui nous attire, ou quelque chose qui nous fait éprouver de la répulsion. Ainsi, nos projections ne seraient pas banales. Soit elles nous indiquent ce que l’on désire, sans toujours se l’avouer, ou quelque chose que l’on ne veut pas voir en nous.
Ça fait du sens non ?
Mais si on peut se souvenir que ce que l’on voit en dehors de soi n’est qu’une réflection de notre dedans, alors l’exercice peut prendre une autre tournure. On peut alors utiliser tout ce vers quoi notre regard est attiré comme une source d’information de ce qui se cache en soi. Comme on dit, on ne regarde rien pour rien.
Je ne sais pas si le fait de juger autrui révèle réellement une partie de moi non encore guérie. Peut-être bien que oui, peut-être bien que non, je ne suis pas psy, ni trop intéressé à savoir désormais.
Mais il me semble faire beaucoup de sens de penser que mon regard n’est pas attiré innocemment vers certaines sources – mots, images – plutôt que vers d’autres. En gardant à l’esprit cette hypothèse, l’exercice de regarder le monde devient alors riche de sens et de découvertes sur soi.
Ainsi, plutôt que de trop faire porter l’attention sur autrui, on devient capable de se voir regarder le monde. Capable d’observer l’observateur/trice observer le monde dans lequel on vit. Avec toujours une certaine distance entre le vu et le voyant, qui devient parfois voyeur/euse, entre l’observé et l’observateur/trice.
Considéré ainsi, le vu ne devient pas automatiquement du su, le vu n’est pas pris pour du cash, mais ce sur quoi porte regard devient davantage un révélateur de quelque chose en soi. Car pourquoi je m’intéresse à ceci plutôt qu’à cela ? Pourquoi cette personne fait monter une certaine impulsion en moi ? Pourquoi je considère positivement ou négativement telle ou telle personne ?
Toutes des clés qui nous renvoient toujours à soi, vers soi, ces parties de nous qui peuvent nous révéler quelque chose à regarder, à voir, à sentir.
Et notre regard peut ainsi devenir un vrai miroir de soi, en utilisant le vu comme révélateur d’un monde enfoui en nous.
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(1) Abhorrer: Éprouver de l’aversion pour quelque chose ou quelqu’un ; détester, exécrer.