LA VIE ET SON RÉCIT

Je gardais cette citation depuis bébette lurette (la soeur de belle), surtout qu’elle contient une faute – s’il l’on – jusqu’à ce que celle ci- bas, postée par mon ami Alain et aperçue récemment, m’incite à la prendre au mot :

La voie qui peut être exprimée par la parole n’est pas la Voie éternelle ; le nom qui peut être nommé n’est pas le Nom éternel.
⁓ Lao Tseu, Tao Te King

Car je ne pense vraiment pas qu’un beau sentiment, qu’il soit le plus beau ou simplement juste beau, ou pas du beau du tout en fait – doive absolument être exprimé pour qu’il vaille la joie d’être vécu et ressenti.

La preuve ? Il s’en vit des millions sinon des milliards chaque jour sans qu’on en entende parler le moindrement. Comme il se vit des sentiments d’horreurs quotidiennement par des millions de personnes, sans que mot aucun ne leur soit imposé, sans que des mots ne soient communiqués à leur sujet. Car les choses les plus intimes se vivent en silence. Et en soi, en chacun(e) de nous.

La vie est un grand mélange de beaux sentiments, comme de moins beaux, et même d’horribles. Sentiments vécus, sentis et ressentis par le monde, de par le monde, par tout le monde, de beaux sentiments éprouvés comme le dit la citation ci-haut, et de moins beaux.

Mais pas certain quant à la nécessité de les dire, de les communiquer, de les transmettre. Car tant à dire, tant à communiquer.

Et pourquoi le fait de simplement ressentir ces beaux sentiments ne serait-il pas suffisant en soi ? Pourquoi nous faudrait-il absolument devoir les dire quand les vivre est déjà en soi une expérience plus que valable ?

D’ailleurs les plus beaux comme les moins beaux sentiments n’ont pas absolument à être communiqués. Les vivre avec totalité est déjà quelque chose en soi. Les vivre, les assumer, et les éventuellement transformer, à moins qu’ils ne se transforment d’eux-mêmes.

Mais les réseaux sociaux nous ont incité à tenter de tout mettre en mots, le beau comme les maux. Comme si on en était venu(e)s à vivre pour les autres. Par écrans interposés.

De toute façon, il ne sert à rien d’éprouver quelconque sentiment car les sentiments ne servent à rien, ils n’ont pas de fonction ni de buts. Les sentiments ne font qu’émerger, qu’être ressentis, et puis ils passent. Les sentiments sont liés aux pensées, mais ils peuvent aussi popper juste comme ça, sans que l’on sache. Les sentiments ont une base corporelle, et une autre intellectuelle.

La vie la plus réelle, la plus vraie, la plus subjective me semble ne pouvoir qu’être vécue de l’intérieur, à l’intérieur, en silence dans le silence, dans la contemplation. Surtout la vie de l’âme, et ses multiples nuances.

Car tout ce qui est dit, énoncé, exprimé, communiqué, ne peut qu’inévitablement être réduit à sa plus simpliste expression, limité par la superficialité des mots, coincé dans leur petitesse, dans leur trop grande simplicité. En particulier le mot Dieu, terme qui ne peut qu’être rapproché de Wow, quand on prend conscience du grand mystère de la vie, et des ses multiples facettes inconnues jusqu’à maintenant.

Les mots ne sont qu’arrangement de lettres, qui signifient des choses différentes pour chacun, car interprétés différemment par chacun(e), malgré une base commune de compréhension.

Alors que la vie est profonde, mystérieuse, complexe, multiple et multiforme. La vie ne peut se laisser enfermer par et dans les mots. La vie les déborde, les dépasse, les surprendra toujours.

Quiconque a vécu une expérience transcendante au cours de sa vie, ce qui est probablement le propre de la plupart d’entre nous, sait combien il est futile de tenter de mettre en mots cette dite expérience car elle perd automatiquement une partie de son sens, l’une de ses multiples et indicible dimensions. Tout partage d’une expérience, ordinaire comme extraordinaire, crée une distance face à l’expérience, la met en porte à faux, contraint une expérience à devenir récit au sujet de celle-ci, expérience qui est de toute façon déjà passée, dépassée.

La musique et le silence peuvent d’après moi mieux convier une expérience que des mots. Ou peut-être la poésie, qui constitue en quelque sorte une mise en fioriture des mots, un agencement artistique, un twistage embelli d’une simple réalité.

Il y a la vie, et il y a la Vie. Et il y a de la récit au sujet de cette vie, de cette Vie. Il y a l’expérience concrète, et la discussion autour de celle-ci. Car la vie est expérience, elle n’est qu’expérience. La vie ne peut être que vécue, et non dite. La vie ne se limite pas aux mots, elle ne peut qu’être limitée par ceux-ci.

Et comme l’affirme si judicieusement Lao Tseu : la voie qui peut être exprimée par la parole n’est pas la Voie éternelle ; le nom qui peut être nommé n’est pas le Nom éternel.

Alors on se la ferme et on vit ?

___
Désormais tout est changé.
J’ai goûté – comme par mégarde – à la saveur d’être, et tout est changé.
Quelque chose, en moi, n’est pas né avec moi et ne mourra pas avec moi.
Par cette certitude, tout est changé.
Il n’y a plus personne à qui reprocher quoi que ce soit – plus personne, non plus, à convaincre de quoi que ce soit.
À l’instant où cesse en moi toute représentation – toute idée sur les choses, les voilà qui apparaissent dans leur évidence impérieuse, leur vide lumineux.
C’est en laissant le chemin de Vie passer à travers nous , que nous aurons rempli notre contrat.


– Christiane Singer, Histoire d’âme., via Sophie Rouma, via Alain Leblond.

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