
Je reviens du Brésil où j’ai passé une semaine à prendre part à un feitio, processus de fabrication du thé Daime. Une semaine à être un gringo au sein d’un groupe qui m’a accepté comme un membre de la famille il y a de cela des années. Une semaine à ne pas tout comprendre au début car mon portugais était rouillé après deux ans sans y aller à cause de vous savez quoi. Une semaine à travailler au sein d’un groupe qui peut très fonctionner sans moi. Une semaine à me soumettre à l’infinie sagesse du Daime, qui vient remuer les fins fonds et tous les racoins des plus éloignés tréfonds de notre corps, de notre psyché jusqu’à notre âme, jusqu’à l’âme commune de Dieu dont nous faisons tous et toutes partie.
Car nous sommes tous et toutes des enfants de Dieu, peu importe le nom qu’on aime donner à l’ensemble de la création, ou prétendre que rien de supérieur à soi n’existe.
L’une des principales leçons que j’apprends et que j’intègre dans mon parcours au sein du Santo Daime est l’humilité, encore et encore. Pas l’humilité du plus humble, que la simple humilité de l’ordinaire être humain que je suis et deviens, le ptit gars de Montréal-Nord, le ptit Guy devenu Ati.
Et à chaque fois, je réalise combien je suis arrogant, imbu de moi-même, centré sur mon image et sur mon petit moi, moi le petit roi. Je le réalise à chaque cérémonie que nous tenons ici à notre église locale, mais ça me saute aux yeux et au visage encore davantage lors des feitios car le processus s’étend sur plus d’une semaine et que je ne suis en charge de rien. Là-bas, je ne suis que moi, petit moi très dispensable car si je n’y suis pas, tout se déroule quand même très bien. Comme le chantait Charlebois, je suis qu’un gars ben ordinaire.
À chaque fois que je prends part à un feitio, je réalise comment – ou combien c’est selon – pour survivre en ce monde de compétition et de chacun(e) pour soi, en ce monde nombriliste où le monde tourne autour de moi, autour de chacun(e) de nous, on a appris à développer une subtile arrogance qui ne nous quitte jamais et qui finit par créer une deuxième peau. Une arrogance qu’on ne perçoit même plus tellement elle est ancrée en nous, tellement nous sommes ancré(e)s en elle. Comme si c’était par cette douce arrogance qu’on tenait en un seul morceau.
Je réalise comment je finis par imposer mon regard et ma petite compréhension limitée à tout ce qui se passe autour de moi. Comment, dans le cadre de mes recherches, je suis toujours et constamment en quête de sources de confirmation de mes propres biais.
Je réalise que sans même m’en apercevoir désormais, je me prends pour le nombril du monde, je suis le nombril, et ce, avec un cordon mondebilical coupé, sectionné, déconnecté du reste de la création. Moi et le monde. Mon monde à Moi. Mon petit monde à moi. Et je tries et choisis tout ce qui y entre. Pour que rien ne vienne me déranger, que rien ne dérange l’ordre établi au fil des croyances et des expériences.
Quand, au fond, la réalité, ou du moins une autre réalité, se situe davantage au niveau du Monde et moi, moi dans le Monde, le Monde en moi.
Là où je vais, dans ma familia Brasileira, je ne suis qu’un membre parmi d’autres. Ati do Canada. Je n’ai rien à faire pour être spécial, qu’à être moi. Pas meilleur, ni pire, ni plus, ni moins qu’aucun des autres membres de la famille.
Et là-bas, dans mon troupeau Brasileiro, je ne suis qu’un mouton parmi la horde, ce terme qui nous fait si peur et qu’on utilise pour qualifier les gens soumis, nous qui préférons plutôt être des loups et des louves éveillées. Et cela est juste et bon de n’être qu’un simple soldat au sein d’une armée de coeur. Et même plus, cela est reposant et relaxant. Un esclave au service de la Vie, pour faire ce que doit.
Car ici dans notre monde de compétition, on doit toujours en faire un peu plus pour seulement être soi, car on se définit beaucoup par ce que l’on fait, par nos réalisations.
Si, plutôt que de se proclamer indépendant(e) et souverain(e), on pouvait seulement réaliser et accepter que nous sommes des êtres vulnérables, soumis aux lois de la nature comme à celles des hommes. Des êtres inter-dépendant(e)s, tout simplement dépendants les un(e)s des autres. Nous sommes de simples maillons dans la grande chaîne humaine.
Pas grand chose que l’on ne puisse faire contre cette arrogance, tout d’abord la reconnaître et l’accepter. Et ainsi grandira l’humilité. Comme on ne peut rien faire contre la noirceur d’autre que de laisser briller la lumière, la reconnaissance de sa propre arrogance deviendra peut-être d’elle-même humilité.
Et en cette journée des droits des femmes, pas négligeable de reconnaître l’arrogance systémique masculine que nous, moitié mâle de l’humanité, portons en tant qu’hommes et dont, au fil des siècles, nous avons tant abusé de notre force physique.

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7/3/2022
Il y a quelques temps, j’ai réagi à une de tes chroniques en t’indiquant que tu es un épicurien. Tu m’as répondu « et pis pu rien » aussi. J’ai répliqué que le jeu de mots était puissant, bien plus que la leçon d’Épicure sur les désirs essentiels et superflus auxquels tu as fait allusion dans un post récent. Il y a un peu plus de 200 ans, Kant était plutôt pessimiste sur les possibilités de progrès humains, réalisant que c’est à 60 ans que la plupart des gens comprennent enfin comment ils auraient dû vivre leur vie, mais qu’à cette âgé il ne nous reste plus suffisamment de force pour recommencer. Maintenant que les gens vivent plus vieux et que 60 ans c’est la jeune vieillesse, on peut peut-être rêver de sagesse. Car il est tellement long le chemin avant de se débarrasser de toutes les étiquettes qui contribuent à cette arrogance que tu décris comme autant de médailles invisibles sur le torse bombé d’un militaire de carrière. Ces brésiliens que tu décris comme des gens simples qui mettent le meilleur d’eux-mêmes dans ce qu’ils font, je serais curieux de savoir comment ils traitent leurs aînés. Peut-être que l’on a encore quelque chose à apprendre de ce côté aussi…
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ils en prennent bien soin et les traitent avec dignité, comme nos peuples autochtones ici savent si bien le faire…
salut René
et parlant d’Épicure, je ne sais trop si c’est de lui mais I like:
» Le progrès de la civilisation ne fait que multiplier les besoins, les tentations, les plaisirs. Or selon Epicure, pour être heureux, il suffit d’avoir de l’eau, une nourriture simple, un vêtement, un abri, d’être philosophe et de vivre en communauté d’affection avec ses amis. »
– Marcel Conche
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Traiter ses vieux avec dignité, c’est probablement un indicateurs assez fiable que l’on est en face d’une civilisation avancée. Inversement des polarités!
Oui, la citation de Conche marche très bien. Selon Épicure, il n’y a que 3 désirs essentiels: du pain, de l’eau et une bande d’amis pour philosopher. Ceux-là, il faut en jouir au maximum. Tout le reste est de l’ordre du superflu et courir après nous prive de la jouissance de l’essentiel.
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