HIVER NATION

Ah cette première semaine de novembre, celle suivant le changement d’heure. Les prochaines semaines constituent toujours un grand passage. Ce temps de l’année, plein de défis, le temps du grand retour en soi. Passage délicat pour plusieurs. Les gens du sud n’ont aucune idée de ce que l’on vit ici.

Baisse de lumière, le gris qui s’installe, le froid qui mord davantage, l’appréhension de l’hiver à venir. La pose des pneus d’hiver – et l’achat parfois, défi supplémentaire – le cordage de bois et le montage du Tempo. Et en plus, comme si ce n’était pas déjà assez, on a à subir les moustaches du Movember.

Gros rite de passage.

D’ici le solstice de l’hiver, nous rentrons en nous, au coeur de soi. Souvent un passage étroit, intense, challengeant. Même si on a accumulé plusieurs hivers au compteur, toujours surprenant de lucidité ce passage très biologiquement bouleversant.

Contrairement à l’ours qui se prépare pour l’hibernation complète, nous on doit continuer à vaquer aux activités de notre quotidien, à mener notre vie malgré cet input luminaire plus limité et une certaine contraction. En ce monde un peu plus fou que jamais auparavant.

On doit trouver une façon d’allumer le feu interne qui devra brûler tout l’hiver, et nous porter jusqu’au printemps. Porter cette flamme silencieuse en notre propre coeur, en notre grotte intérieure. Et rieuse.

Alors pour vous ce matin chers lecteurs/trices, un conte amérindien inspirant, porteur d’espoir et de lumière. Pour nous aider à planter des graines de lumière en nos coeurs en ce temps de froidure, et de poudrerie à venir. Nous, les gens de la nation d’hiver.

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Il était une fois un ours si vieux que même les montagnes ne se souvenaient plus du temps qui l’avait précédé.
On l’appelait Orun, ce qui signifie « la flamme silencieuse ».
Sa fourrure scintillait des couleurs du cosmos : un indigo profond, strié de feu et de lumière, comme s’il portait un fragment de l’univers sur son dos.

Orun vivait au-delà des vents du nord, là où le ciel touchait les confins de la création.
Chaque hiver, lorsque la terre gelait et que les étoiles se rapprochaient, il s’éveillait de sa torpeur et marchait sous le ciel nocturne.
Les autres créatures disaient qu’il cherchait quelque chose, quelque chose de perdu aux origines du monde.
Personne n’osait lui demander ce que c’était.

Mais une nuit, tandis que les aurores boréales dansaient et que la neige murmurait comme de la soie, un petit renard suivit ses traces.
Le renard était jeune, téméraire et curieux, et n’avait pas peur des légendes.
« Grand Ours, » appela-t-il d’une voix tremblante comme le vent sur la glace, « pourquoi marches-tu seul sous les étoiles ? Que cherches-tu dans le silence ? »
Orun s’arrêta.
Son souffle s’éleva comme une brume et s’attarda, faiblement illuminé par la lumière des étoiles.
Longtemps, il ne dit rien. Puis, d’une voix grave comme le tonnerre et douce comme la neige, il répondit :

« Je ne cherche pas les étoiles, petit. Je les porte. »

Le renard inclina la tête, perplexe. « Tu les portes ? Mais les étoiles appartiennent au ciel. »

L’ours leva les yeux, et l’univers sembla onduler dans sa fourrure.
« Jadis, » dit-il, « c’était le cas.
Mais il fut un temps, il y a bien longtemps, où les ténèbres tentèrent d’engloutir les cieux.
Les étoiles commencèrent à tomber, une à une, s’éteignant avant même de toucher la terre. Le monde se refroidit.
Les rivières oublièrent de chanter.
Le cœur des êtres vivants se transforma en glace. »

Ses yeux brillèrent faiblement, reflétant des constellations que le renard n’avait jamais vues. « Alors j’ai rassemblé la lumière qui subsistait.
J’ai attrapé les étoiles filantes et les ai gardées près de moi, pour que leur chaleur ne s’éteigne jamais.
Chaque étincelle que je porte est le souvenir d’un passé révolu – la promesse que la nuit ne triomphera jamais complètement. »

Le renard le fixa, le cœur serré d’une douleur qu’il ne comprenait pas.
« Grand Ours, cela ne te fait-il pas souffrir de porter ce feu en toi ? »

Orun sourit, d’un sourire lent et ancestral.
« Si, dit-il.
Mais porter la douleur, c’est porter un but.
La lumière ne peut exister sans l’obscurité pour la bercer.
Nous sommes les deux. »

Sur ces mots, l’ours leva sa grosse tête, et le ciel s’ouvrit au-dessus de lui.
Des profondeurs de sa poitrine, une douce lueur commença à s’élever – des étoiles scintillant comme des larmes – se répandant dans les cieux jusqu’à ce que la voûte céleste s’embrase à nouveau.

À l’aube, le renard était de nouveau seul.
La neige n’était marquée que par la forme estompée d’une empreinte de patte – vaste et lumineuse, telle une constellation imprimée dans la terre.
Ce matin-là, pour la première fois, le renard leva les yeux et vit les étoiles briller encore en plein jour, faibles mais inébranlables.

Dès ce jour, les animaux du nord parlèrent d’Orun, l’Ours qui portait les étoiles.
Ils disaient que lorsque le monde semble froid et infini, si l’on ferme les yeux et que l’on écoute, on peut encore entendre son cœur battre dans le ciel – un pouls profond et régulier qui rappelle à tous les êtres vivants : Même dans la nuit la plus noire, quelqu’un porte la lumière pour vous.

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