D’ÉCRIRE LE SILENCE

Chronique dédiée à mon ami Alain qui m’a refilé les deux beaux bouts de silence alphabétisés ci-bas. Mersilence.

Ce matin, quelques bribes à propos du silence. Ou plutôt des silences, car il en existe de nombreux types. Certains sont lourds, d’autres sont de soie, et d’autres encore tentent d’étouffer la vérité. Certains silences sont crûment criants, d’autres murmurent la vie, d’autres encore l’éviscèrent alors que les mots nous exaspèrent. Certains mots demeureront toujours un tissu de mensonges même s’ils sont émis et vomis sur un réseau nommé VÉRITÉ.

Au cours d’une vie, pour la plupart de nous, êtres humains normalement entendants et parlants du moins, on entendra et émettra des milliards de mots, dits, chantés ou écrits. Certains sont musiques à nos oreilles, d’autres chefs d’oeuvre à nos yeux et descendent jusqu’au coeur.

Mais on oublie que chaque mot est séparé par un silence, chaque mot est enveloppé d’un silence. Sans silence, qu’une longue file de mots indivisés qui ne fait aucun sens. Avant et après chaque mot règne un silence. Toujours le silence qui règne au-delà comme en-deça des mots. C’est le silence qui permet de détacher et distinguer les mots les uns des autres. Car les mots doivent être distingués, sinon ils perdent leur classe.

Un silence de plus que les mots est toujours requis pour que les mots fassent sens au sein d’une phrase comme au coeur d’une vie. En fait, deux silences: le silence du début, et le silence de la fin.

Comme les chutes et les relèvements, du corps comme de la conscience: tomber 7 fois, se relever 8.

Certains parlent tout le temps, d’autres trop peu alors qu’il faudrait nommer le dit silence, tandis que la plupart d’entre nous n’écoutons pas suffisamment, ni soi ni les autres, ni les mots, ni le silence. Mais c’est surtout le silence que nous négligeons. Papillons volatiles et volubiles dans des nuages de mots, nous nous éparpillons d’onomatopées, de sons et de bruits de toutes sortes et, ce faisant, nous embouchons le silence, nous le bouchonnons comme un mauvais vin. Nous n’écoutons pas, ou si peu, seulement pour pouvoir mieux et tout de suite répondre du tac au tac.

Contrairement au scrabble, il n’est pas toujours payant de laisser filer toutes nos lettres, soient-elles rares, de noblesses ou de détresse, entre nos dents de sagesse. Il faudrait s’écouter davantage si on voulait s’entendre vivre. Il faudrait respirer pour écouter et entendre l’air du temps qui nous passe dans les poumons, comme entre les dents.

Mais malgré les mots de plus en plus nombreux et bruyants sur tous les réseaux antisociaux, le silence est toujours ici, environnant, il demeure, permanent, constant, présent, sous-jacent. Flottant, suspendu hors du temps.

Et si on se la boucle et qu’on écoute, il est juste là, ici, le silence. Au coeur de soi, doux comme une soie. Entre les lignes, comme entre les mots, entre chaque lettre même, même si on écrit en lettres attachées ou qu’on les tape sur le clavier.

Mais pour l’entendre et le sentir le silence, faut sortir nos oreilles les plus fines, les trois. Pour cela qu’avec le temps qui file et le retour à la source qui se rapproche à chaque jour que le soleil luit et renuit, l’écriture, la lecture, la chanson et la contemplation redeviennent des richesses hors du temps.

Toujours gratuit le silence, mais jamais donné.

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CELUI QUI VENDAIT DES SILENCES
Dans une ville où tout hurlait,
où les klaxons se battaient avec les enseignes,
où les téléphones criaient plus fort que les oiseaux,
il y avait un petit kiosque étrange,
caché au fond d’une ruelle presque timide.
Pas d’affiches criardes.
Pas de néons.

Juste une pancarte écrite à la main : “Silences à vendre. Tarifs doux.”

À l’intérieur,
un vieil homme,
avec des yeux couleur de mer calme,
et un sourire qui ne pressait personne.
Il vendait des silences.
De toutes sortes.
Des silences courts, pour apaiser une colère.
Des silences longs, pour guérir un deuil.
Des silences légers, pour respirer entre deux battements du monde.
Des silences profonds, pour retrouver ce qu’on croyait perdu.
Les gens entraient, souvent par hasard.
Ils pensaient acheter un journal, un café, un billet de loterie.
Et ils repartaient…
avec un morceau de silence plié dans leur poche,
comme une lettre que seul leur cœur saurait lire.
Il ne demandait pas grand-chose en échange.
Parfois une poignée de pièces rouillées.
Parfois un sourire fatigué.
Parfois rien du tout.
Son seul contrat était silencieux :
“Emporte-le doucement. Ne le gaspille pas.”
Un jour, une enfant a demandé :
– Pourquoi tu vends des silences alors que tout le monde vend du bruit ?
Le vieil homme a souri, et a répondu :
Parce que c’est ce qu’on oublie toujours de s’offrir à soi-même.

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Poème (écrit à la craie blanche sur la devanture du kiosque, effacé par la pluie)

Le bruit vend des promesses rapides.
Le silence offre des vérités lentes.
Quand tu n’as plus rien à dire,
ni à prouver,
ni à défendre,
viens chercher un silence.
Dedans, il y a ton nom oublié.
Et la lumière intacte de ton premier souffle.

Belkacem Bouasria Ouldabderrahmane via Alain Leblond

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Écrire, c’est se laisser faire par l’écriture.
C’est savoir et ne pas savoir ce que l’on va écrire.
Ne pas croire qu’on le sait.
Avoir peur.
On voit dans quelle direction on va.
On a des repères très simples.
On se dit: Aujourd’hui, la femme que je décris sortira de sa maison et rentrera au crépuscule.
Mais une fois la femme sortie, il faut laisser faire le livre.
Tous les jours, un livre en cours peut changer de direction.
Il faut le suivre…

– Marguerite Duras
[Le dernier des métiers : Entretiens 1962-1991] via Alain Leblond

4 réflexions au sujet de « D’ÉCRIRE LE SILENCE »

  1. Avatar de AnandgyanAnandgyan

    Le silence ne fait pas parti de la création;

    il ¯est¯ l’espace entre deux pensées…

    Les pensées, telles les fleurs, sont cogitations

    et font parties de la nature.

    Les sons ont un début et une fin;

    pas le silence qui le permet

    et celui qui note témoigne et chante

    ou chante pas; le bruit abruti et on’est pas abouti.

    Être pas du monde est et faire le fou et transcender.

    Le silence n’a pas un début et une fin.

    Comment pourrais-tu me donner un ¯morceau­¯

    du silence du milieu?

    M’enfin … j’aime tenter d’écrire le silence

    qui demeure la réponse à une belles énigme

    dans le film La Vita è Bella qui a gagné un Oscar:

    ¯Aussi tôt que je suis nommé…

    … je n’existe plus. Qui suis-je?¯

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