LE MONDE SELON PETIT MOI

La plus dangereuse erreur psychologique consiste à projeter son ombre sur les autres; c’est la racine de presque tous les conflits… – C. G. Jung

Nous avons deux yeux pour voir, pour regarder.

Alors nous les ouvrons la majeure partie du temps.

Et nous regardons presque toujours en dehors de soi.

Mais c’est toujours nous que nous voyons.

En pensant voir le monde tel qu’il est, en croyant voir les autres tels qu’ils et elles sont, objectivement, en toute neutralité.

Nous nous projetons dans le monde, dans les choses, dans les autres.

Nous projetons sur le monde nos idées de nous-même.

Nous croyons voir le monde mais c’est toujours nous que nous voyons.

Toujours soi entre le monde et nous.

Je vois mon écran blanc, je tape et c’est moi que je répand sur l’écran blanc de mon imagination.

Et vous, qui lisez ces mots, prétendument mes mots, dès que vous portez votre regard sur ces mots, ils deviennent vos mots, vous leur donnez le sens que vous voulez, que vous pouvez. Vous en faites ce que vous pouvez et voulez.

Je m’écris moi-même et vous vous lisez vous-même, vous-mêmes.

Ou n’est-ce pas plutôt : je nous écris et vous me lisez ?

Les mots sont censés être des courroies de transmission, des vecteurs de connexion, des outils de communication. Mais souvent ils portent plus à confusion qu’à réunion, plus à scission qu’à unisson. Car le même mot veut toujours dire un ptit quelque chose de différent selon qui le dit, et qui le lit.

Qui dit qui lit, qui dit qui lit. Les mots chatouillent, les mots cafouillent.

Nous portons tous et toutes une certaine part d’ombre dans notre regard, dans nos propres yeux. Des nuages visuels. Et lorsque nous regardons le monde, cette part d’ombre obstrue partiellement notre perception, elle entrave notre regard, elle nous fait toujours voir notre propre version du monde.

8 milliards de petits mondes dans ce même grand et unique monde.

L’humilité consiste à reconnaître que le monde que nous percevons, le monde que nous croyons voir est toujours teinté de nos jugements, de nos croyances, de nos présupposés.

Un monde purement objectif est impossible à capter, notre regard le pervertit toujours un peu, ou beaucoup. Nos sens nous jouent des tours. Notre regard ajuste toujours le monde extérieur à sa propre mesure, à la mesure de notre capacité à le saisir, à la mesure de l’ampleur de notre regard.

Pour chacun chacune, c’est toujours le monde d’après moi, le monde de mon point de vue.

C’est la raison pour laquelle le principal et premier travail à effectuer – et le plus long et difficile car jamais complété – consiste à tourner son propre regard sur soi, vers soi, à voir nos propres perspectives limitées et nos angles de perception, surtout les angles morts qui, par définition, sont cachés et hors de vue du regard ordinaire.

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La vie va vous briser.
Personne ne peut vous protéger de cela, et être seul ne le sera pas non plus, car la solitude vous brisera également par son désir.
Il faut aimer. Il faut ressentir.
C’est la raison pour laquelle vous êtes ici sur terre.
Vous devez risquer votre cœur.
Vous êtes ici pour être englouti.
Et quand il arrive que vous soyez brisé, ou trahi, ou abandonné, ou blessé, ou que la mort vous effleure trop près, laissez-vous asseoir près d’un pommier et écoutez les pommes tomber tout autour de vous en tas, gaspillant leur douceur.
Dites-vous que vous en avez goûté autant que vous le pouviez.

– Louise Erdrich

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