
– Shunryu Suzuki
All right, lecteurs/trices. Dernière chronique pour un temps indéterminé, en cette période sur terre minée. En effet, minée cette période et cette terre. Dès qu’on observe le monde, on projette une certaine adversité, une adversité certaine. On dualise le monde. Et quand on se prononce, cela est d’autant plus vrai. Les bombes de mots tombent et volent.
Le temps est à la dualité. Opposés, polarisés, déchirés nous sommes. Gauche/droite, pro/anti, et tutti quanti. Même chose en soi-même.
Dès qu’on observe quelqu’un, ou quelque chose, notre idée est déjà faite. On regarde toujours les gens ou les choses, le monde quoi, avec une idée déjà faite, avec de multiples idées déjà faites en tête. On a la tête qui éclate et qui pète de partout. En fait, on impose toujours notre vision du monde au monde. On ne voit pas le monde, on ne voit que ce que l’on pense du monde. On a les yeux trop pleins du monde. Laissons le monde vivre. Et faisons lui confiance malgré les actions et les dires de certains.
Alors pour les prochains jours, j’ai envie de me défaire les idées, détisser, détricoter les mailles de mes prétendues savoirs et connaissances. J’ai envie, que dis-je, j’ai besoin, de défaire les noeuds dans mes yeux. Envie d’observer le monde tout zennement, tout bonnement, sans opinion, sans préavis, sans idées préconçues, ni jugements. Envie de transformer mes certitudes en simples hypothèses.
J’ai envie de vivre sans connaissances. Et de me refaire une virginité d’esprit.
Pour cela, je compte aller me promener dans les bois, écouter les arbres craquer, et les oiseaux chanter, regarder et voir la neige tomber. L’entendre même. Sans penser, sans juger si c’est chaud ou froid, si c’est quoi que ce soit. Pas plus que si moi je suis même moi. J’ai envie que mon nom soit personne. Et de perdre la raison. Et de ne plus l’avoir.
J’ai envie de ne plus me frotter à ce qui grouille ni par en dedans, ni par en dehors, simplement de couler avec. Oui oui la vie. Envie de moins croiser les mauvaises nouvelles du monde et de ne pas prendre position. Ni pour, ni contre. Ni l’un ni l’autre. Ni moi, ni monde. Un. Un point c’est tout.
En fait, j’ai juste envie d’arrêter de vouloir. Arrêter de vouloir changer le monde, de le vouloir autrement que tel qu’il est. Simplement envie d’accepter tout ce qui est comme que c’est. Accepter les injustices, laisser crier les grandes gueules et arrêter de vouloir changer le monde pour qu’il devienne comme je pense qu’il devrait être. Il l’est déjà.
Envie de troquer le conditionnel pour la simple présence d’esprit. De laisser le passé composé se décomposer en un impératif présent plus que parfait imparfaitement parfait. Envie de simplement laisser le monde être tel quel. Ce qu’il est déjà et sera toujours.
As is disent les anglais, as is.
Envie de ralentir le temps et de faire la fête au temps lent (voir le superbe texte de Christian Vézina ci-bas).
Envie d’aller jouer dans le jardin Zen nordique et boréal dans ma cour forestière. Et d’en laisser pousser un dans ma tête, mon âme et mon coeur.
Âmen…
et Yutori…

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C’est plutôt peine perdue que chercher à s’opposer aux forces démoniaques à l’œuvre derrière les petits pantins qui gouvernent l’Occident.
Ni collaborer, notamment en se ruant dans les bureaux de votation tous les 4 ou 5 ans et en se soumettant passivement et silencieusement, ni rentrer dans leur jeu en usant de violence.
Simplement VEILLER, demeurer vertical au milieux des ruines, «chevaucher le tigre» comme dit l’Orient traditionnel.
Ces forces sont destructrices et ne voient même pas qu’elles sont sur le point de s’autodétruire aussi.
Plus il y aura de Veilleurs, plus vite viendra la délivrance.
– Jean Bouchart d’Orval
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Veillez donc, priant en tout temps, afin que vous puissiez échapper à toutes ces choses qui doivent arriver et subsister en présence du Fils de l’homme.
– Luc 21, 36
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La Fête du Temps, par Christina Vézina dans Le Devoir
La routine est une petite route, un sentier bien tapé par le quotidien pour faciliter l’ordinaire des jours.
Je l’aime autant que je m’en méfie.
L’aisance que j’y gagne me libère l’esprit comme le coeur qui peuvent ainsi s’aventurer ailleurs.
Mais son confort est redoutable qui peut reléguer à la semaine des quatre jeudis l’aventure autre que rêvée.
Ceci dit, à notre époque, présenter la routine sous le jour d’un tranquille artisanat domestique s’avère trompeur.
Depuis un siècle ou deux, les cadences se sont tellement accélérées qu’elles ont rompu le lien avec les rythmes du vivant.
Nous courons souvent ventre à terre, à travers nos agendas sur quatre étages.
Dans ce contexte, la routine devient une autoroute à péages tentant de rendre possible l’impossible exigé.
Le Temps des Fêtes pourrait être une occasion providentielle de quitter cette autoroute pour prendre un chemin de traverse, loin du bruit et du sifflet des injonctions nous pressant de faire ceci ou cela.
À condition, bien sûr, de ne pas retracer dans la blanche vacance de l’agenda le plan cartésien de l’horaire habituel, quadrillé comme un document Excel.
Vacances et performance ni riment qu’accidentellement!
Mais savoir ralentir n’est pas si simple pour des êtres aussi bien conditionnés que nous.
D’où la pléthore de gourous en tous genres dont les cours et les livres, souvent coûteux, veulent nous réapprendre à respirer, à faire le vide, à nous recentrer sur notre propre coeur – qui n’est rien sans celui des autres, détail souvent omis…
Permettez-moi aujourd’hui de partager avec vous les coordonnées d’une grande sage mi-sorcière mi-fée qui, annuellement et pour notre plus grand bonheur, fait la tournée des pays froids.
Ses séminaires ont ceci de spécial qu’ils peuvent accueillir un nombre illimité de participants.
Pour être informé du lieu et de l’heure de ses conférences silencieuses et toujours gratuites, vous n’avez qu’à consulter les bulletins météorologiques; je parle de la neige.
De tout ce qui nous tombe sur la tête, et dieu sait qu’il nous en tombe dessus, la neige est la chose la plus légère.
Rien de plus délicat ne tombe du ciel.
Et c’est déjà beaucoup.
Mieux encore, rien ne tombe plus lentement qu’elle.
On dirait Newton qui rêve à sa blonde, après le temps des pommes. Immaculée, légère, lente, diverse, silencieuse, telle est la neige. Bon, parfois elle passe en coup de vent de nordet, d’accord.
Mais les soirs de conférence et les matins de ses ateliers, je vous le conseille : soyez présents.
Sortez.
Regardez.
Regardez – longuement – la neige tomber.
Il vous arrivera quelque chose…
Vous aurez l’impression que le Temps ralentit.
Et comme le Temps est relatif, de fait, il ralentira.
Hypnotisé, vous sentirez se faire en vous un grand vide qui, paradoxalement, vous comblera, une étonnante plénitude.
Le nombre et la diversité des flocons y contribuent certainement.
Vous aurez l’impression d’être au milieu d’une multitude d’instants simultanés.
Au centre d’une métaphore figurant cette minute diversement vécue par chacun et chacune au moment où vous vivez, vous, cet instant neigeux.
(Toutes mes excuses aux comptables de la SQDC; ce recours à la gratuité de la simple conscience n’aura qu’un faible impact sur vos affaires courantes, ne vous en faites pas.)
Il y a encore plus beau…
Contrairement au Temps qui, sans cesse, nous semble disparaître, sa métaphorique sœur s’accumule à nos pieds, s’entasse, prend ses aises.
Après avoir ralenti nos pensées, voici qu’elle ralentit nos pas.
Elle arrive même parfois à fermer l’autoroute. Avouez qu’elle fait tout son possible pour passer son message.
Elle demande même l’aide d’un très vieux pote à elle : le silence.
Il répond toujours « présent » à son invitation. Il adore s’étendre dans ce temps floconneux et s’y dessiner des ailes comme font les petits anges en bottes d’hiver.
Le silence de la neige a beaucoup à nous dire.
La neige sait des choses au sujet du silence.
Pelles et grattes, plus prosaïques, voient la chose autrement.
Mais n’est-ce pas également un temps des plus précieux que celui de déneiger l’entrée de sa vieille voisine, d’aider un inconnu à se sortir du banc de neige?
Y a-t-il moment plus cher que celui de creuser un fort pour ses enfants ?
Pousser cette grosse boule blanche qui va grossissant, y a-t-il plus belle façon d’imaginer Sisyphe, heureux?
Le temps des Fêtes c’est déjà le temps des présents.
Pourquoi n’en ferait-on pas le temps de la présence?
Qu’y a-t-il de plus précieux à prendre et à donner que notre propre temps?
Pourquoi ne ferait-on pas du temps des fêtes, la Fête du temps?

Du silence , de la paix et beaucoup d’amour .
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