AMOUR ALLUMOIR D’OMBRE

Tant que nous vivrons dans un corps, il y aura une ombre; et la lumière y sera éblouissante et brillante. – Matt Licata

Je parlais ici il y a quelques jours seulement d’ombre et de lumière.
https://atisupino.com/2025/12/16/lombre-de-toute-lumiere/

Alors je vais radoter un peu. Faut s’y faire, parait que ça vient de plus en plus avec l’âge. Enwèye pépère chroniqueur, lâche-toi lousse. Un peu une obsession aussi l’ombre et la lumière pour moi.

Ainsi, quelques jours encore et le grand swing vers plus de lumière sera ré/enclenché. Oh, il y aura bien sûr quelques jours de flottement et ensuite seulement les jours vont commencé à rallonger.

La vie n’est qu’un grand swing au fond. Un continuel balancier. Vers l’ombre, puis vers la lumière.

Ombre et lumière, ou conscience et inconscience. Noir et blanc. Féminin versus masculin. Gauche-droite. La vie la mort. Popa môman. Le paradis et l’enfer. On dirait bien que tout vient en couple dans la vie. Ce monde peut bien en être un de dualité. C’est la friction qui crée la vie peut-être bien ?

J’aime l’idée que tant que nous vivons dans un corps, nous porterons une certaine part d’ombre. Matt Licata dit avoir un corps (have a body), mais ce corps, l’a-t-on ? le sommes-nous ? ou vivons-nous dedans ? Les questions se posent. D’autres disent même que c’est notre âme qui porte le corps. Tant de façons différentes de voir la vie, de considérer l’existence.

Alors, vu ainsi, cette ombre que nous aurons tant qu’on vivra, il faudra bien s’y faire on dirait bien. J’avais inclus cette citation dans l’autre chronique car je la trouvais éclairante 😉


L’amour serait donc source de lumière. Et le seul antidote à la prédominance de l’ombre, de la sombritude.

Ces mots de Nikos Kazantzakis disent un peu la même chose non ?
Le véritable sens des Lumières est de contempler les ténèbres avec des yeux clairs.

Les lumières de Noël symbolisent le retour de la lumière, nous soutiennent dans ce passage étroit.

Alors shinons mes ami.e.s., shinons. Jusqu’au solstice. Et ensuite, l’astre central va reprendre du boulot.

Ci-bas, mon amie Manon a relayé ce texte de Nathalie Platt hier sur son fil. Beau. Et éclairant quant aux temps sombres que l’on semble vivre ces temps-ci.

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AU NOM DU PÈRE
Si la société et les mœurs évoluent, les mondes inconscients demeurent parfois longtemps rétrogrades.
– Nathalie Plaat, LE DEVOIR, Psychologue clinicienne, la chroniqueuse est autrice et chargée de cours à l’Université de Sherbrooke

Dans le cadre d’une psychanalyse personnelle, nous passons un long et douloureux moment à analyser nos relations infantiles à nos parents, les disséquant notamment sous la loupe de la fameuse lecture œdipienne.
Le but premier de cette lente excavation de nos mondes inconscients est d’arriver graduellement à devenir nous-mêmes, des adultes souverains, libres de penser et de vivre en étant, le plus possible, dégagés des structures infantiles.
C’est aussi, si on transpose cette grille de lecture au collectif, une manière de «faire progrès» autrement qu’en adoptant, de manière cyclique et répétitive, des pôles paradoxaux où l’on prétend avancer sans le faire véritablement, avant de revenir épouser avec force des postures régressives et nostalgiques.
Mais la psychanalyse a aussi participé à penser le monde d’une manière hétéronormative et profondément patriarcale qui continue de marquer nos inconscients.
Si la société et les mœurs évoluent, les mondes inconscients, eux, demeurent parfois longtemps rétrogrades, jaillissant dans une série de comportements qui persistent, au-delà des éducations, des avancées politiques et des discussions publiques.
Quand on parle, notamment, d’un retour ou d’un backlash des discours masculinistes ou patriarcaux, qui mettent en avant la domination du féminin, la possessivité du corps des femmes, la suppression des émotions et le spectacle de la virilité, je me demande bien sur quels éléments on se base pour parler d’un «retour».
Dans mon monde à moi, pour qu’il y ait retour, il faut qu’il y ait eu d’abord disparition, à moins qu’on parle du fameux « retour du refoulé » qui implique précisément le fait qu’il n’y a jamais eu disparition, seulement dissimulation.
Pour qu’un élément disparaisse réellement, en psychanalyse du moins, il faut qu’il ait été digéré, repensé, intégré, transformé, porté d’une manière radicalement différente, qui aurait modifié non seulement l’état de cet élément en lui-même, mais aussi l’ensemble de la personnalité de celui qui le porte.

C’est probablement ma fâcheuse tendance à lire sous les discours performés, ce qui se tapit dans nos angles morts, ou encore ces deux décennies de pratique clinique dans l’intime des gens qui m’empêche d’avoir cru, une seule seconde, que les vieilles et profondes tendances patriarcales avaient réellement été renversées.
Il ne s’agit donc pas d’un retour, encore moins d’un backlash (terme utilisé pour retourner le féminisme au plancher d’une prétendue culpabilité, comme s’il avait osé faire apparaître, comme par magie, le machisme, du haut de ses quelques petites décennies de timide apparition dans la sphère sociale).

Non, à mon avis, il s’agit plutôt d’un dévoilement, rendu possible par la formulation d’un discours féministe plus structuré qui aurait simplement rendu apparent ce qui, partout, était agissant.
Ainsi, la montée des discours masculinistes, qui viennent souvent de pair avec une certaine pensée politique d’extrême droite, caractérisée par le refus de l’altérité et une manière d’habiter le pouvoir en usant d’intimidation, se vit en phase avec le politique : en se décomplexant.

Dans son essai Le goût de la politique, observateur passionné de la Ve République, le politicologue français Pascal Perrineau désigne ainsi ce qui redessine les dynamiques politiques occidentales :
« Le clivage gauche-droite s’estompe, le paysage partisan se réorganisant autour de deux pôles, l’un ouvert sur le monde, l’autre figé sur l’idée de nation. »
Le terme « figé », ici, m’apparaît central pour comprendre la manière dont un certain nationalisme, au nom du père, au nom d’une vision du monde nostalgico-restauratrice d’un ordre moral résolument disparu, refait surface, d’une manière qui reprend les codes patriarcaux à la lettre jusque dans sa manière de débattre.
On rejettera l’altérité, on érigera des murs autour de la cité et nous nous « tiendrons debout » en haïssant les mêmes ennemis, osant appeler ça le « progrès ».

Sur le plan politique, j’ai souvent l’impression de lire dans nos manières de faire, de dire et de penser, des restes de vieilles blessures qui réclameraient bien une vaste psychanalyse collective, une sorte de suite au fameux « père manquant, fils manqué » qui avait fait s’élever la conscience de tant d’hommes des années 1980, grâce au travail du regretté psychanalyste Guy Corneau.
Parce que, oui, il semblerait bien que la fameuse absence du père, la recherche de celui-ci, l’identification presque aveugle à une figure paternelle projetée sur une personne qui nous semble soudainement investie de la mission quasi divine de nous mener vers notre destin, me paraît encore bien agissante dans nos motivations électorales.
Et comme dans le grand mythe structurant de la psychanalyse freudienne, je déplore encore et toujours une autre grande absence, beaucoup plus dommageable pour la suite du monde: celle du féminin.

S’il y a une sphère où la grille d’analyse œdipienne perdure, c’est bien dans la lecture collective de cette course générationnelle, où, de tous les temps, on observe des figures reprenant le rôle du bon vieux père Laïos, qui refuse de céder son chemin à un fils — dont il ignore à ce moment qu’il l’est, convaincu qu’il est d’avoir éliminé le danger que l’oracle lui avait annoncé.
Mais comme nous l’enseigne la mythologie grecque, il est bien difficile d’échapper à son destin, et ce fils qui lui apparaîtra sous les traits d’un inconnu finira bel et bien par le tuer, et renverser son monde.
Le plus difficile est probablement de réaliser que nous sommes finalement devenus des Laïos, alors qu’il y a si peu de temps, nous étions le fils.
De révolutionnaire à réactionnaire, il n’y a souvent qu’un seul petit pas, qui se fait dans l’angle mort le plus total.

Je ne sais pas de quelles couleurs le paysage politique québécois se drapera, mais je sais trop bien que le progrès, le vrai, exige une profonde prise de conscience de soi, à la fois lente et douloureuse, qui demande essentiellement de dépasser nos angoisses face à «l’inquiétante étrangeté», celle-là même que nous portons en nous-mêmes, mais que, suivant la courbe de notre immaturité, nous préférons longtemps projeter sur l’autre.

Je sais aussi que l’avenir adviendra, que le fils tuera le père, jusqu’à ce qu’il soit tué à son tour, mais je vous avoue que j’ose aussi parfois rêver mieux, espérer une suite dans laquelle ce qui nous distinguerait, par exemple, tiendrait précisément dans une forme d’invitation à nous rassembler autour de valeurs profondément humanistes (et donc féministes).

Dans mes rêves les plus fous, nous serions inspirés davantage par la rébellion d’une Antigone, fille d’Œdipe, résolument ancrée dans une éthique de l’amour, de la défense de valeurs qui excèdent l’organisation d’une cité qui aime davantage les murs qu’elle érige que les gens qui l’habitent.

Avec elle, je ferais pays, n’importe quand.

2 réflexions au sujet de « AMOUR ALLUMOIR D’OMBRE »

  1. Avatar de João (Ravi)João (Ravi)

    Dans mon inconscient se cache des «vapeurs d’ombre», qui de déclenchements en déclenchement se dévoilent à ma conscience «vapeurs de lumière»… en cette période des fêtes de Noël et du Nouvel An, j’accueils le Grincheux de Noël, qui se cache en moi et de lui permettre de se/me dévoiler….

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