
– Buckminster Fuller
Qui sommes-nous ? Que sommes-nous ?
Étrange, car pour avoir pris part au Satori (processus de questionnement intérieur à l’aide de Koans) pendant tant d’années au mois de juillet, on dirait que le questionnement continue en ce début juillet 2025.
Qui suis-je ? Que je remplaçais souvent par que suis-je ? car je me sentais davantage quelque chose que quelqu’un. Quelque chose comme un processus en évolution justement, quoique parfois en révolution ou en dévolution. Car parfois on dirait qu’on recule plutôt qu’avancer.
Ce week-end, je jasais avec un ami et on se demandait respectivement pourquoi on faisait encore ce que l’on fait depuis si longtemps. Une autre façon de se demander qui l’on est pour moi car nous nous définissons si souvent par ce que nous faisons.
Alors je suis ce que je fais ? Un peu mais pas vraiment non plus. Car au contraire, nous pensons peut-être devenir ce que nous faisons. Mais peut-être aussi plus la vie qui nous fait que nous qui la faisons.
Car c’est la vie qui nous fait, et qui finit par nous défaire avec le temps qui nous passe dessus et dedans.
Ce qui me montait à la question pourquoi je fais ce que je fais est pourquoi pas ?
Comme si la vie nous offrait diverses opportunités qu’on peut toujours accepter ou refuser. À nous de choisir. Parfois, on veut faire quelque chose et d’autre fois, c’est la vie qui nous invite ou nous y incite plus ou moins directement. On répond, on agit ou on réagit.
Nous ne sommes rien de précis en effet. Nous sommes du changement, nous sommes de l’énergie en mouvement : É/motion.
Nous sommes pensées aussi, une suite ininterrompue de pensées, beaucoup beaucoup de pensées. Une file de pensées interrompue par d’autres pensées qui défilent les unes après les autres, et qui parfois s’entrechoquent. Pas fou d’apprendre à les regarder passer pour s’en détacher un peu car la machine à pensées s’affole, s’enfile, se faufile et défile.
Une autre amie me disait ce week-end que lorsqu’elle lisait mes mots, elle pouvait se reconnaître. Je l’ai pris comme un compliment car c’est exactement pour cela que j’écris: j’écris pour me relier à vous, pour vous dire que vous et moi nous sommes la même chose, la même affaire.
Rien, et tout en même temps. Rien, et rien du tout.
Nous sommes de la poussière d’étoiles qui a oublié d’où elle venait. Nous sommes des ptits bouts de vie qui nous pensons séparé.e.s. du reste, pas du tout. Nous sommes des ptits bouts du Grand Rien du Tout.
En fait, sommes-nous vraiment, ou ne faisons-nous pas plutôt que devenir sans cesse ?
Des ptits bouts de rien du tout qui se prennent pour quelque chose, qui oublient qu’ils et elles ne sont rien au fond, rien d’autre qu’un processus en devenir. Devenir quoi ? Redevenir rien peut-être.
Nous vivons sur la Terre, sans savoir ce que nous sommes. Ni une catégorie, ni une chose, ni un nom. Quelque chose comme un verbe, comme un processus évolutif, une part intégrale de l’Univers. Merci Mr Fuller. Fuller comme dans plus plein que. Et plus plein que ça, ça serait déjà beaucoup, sinon trop. Ou pas.
Car je crois sincèrement que nous ne sommes rien de si précis que ça, rien de ce que nous pensons être. Nous sommes en devenir, en devenir d’un beau ptit tas de rien qui redeviendra tout peut-être un jour.
On pense être, mais le sommes-nous vraiment ?
La question se pose, et se dépose, mais elle n’est pas vraiment reposante. Alors reposons-nous. Soi, pas la question.
Car moi, toi, lui et elle, comme nous, vous, ils et elles, tous et toutes du pareil au même. Du vide qui se remplit de quelque chose qui pense être. Alors qu’en devenir, toujours en devenir.
___
Il est une phrase de Brecht qui résonne profondément en moi : Il pensait à l’intérieur des autres, et les autres pensaient en lui.
Au fond, c’est cela, l’ultime dessein de l’écriture — l’idéal vers lequel je tends : penser et ressentir en l’autre, comme d’autres – écrivains ou non – ont pensé et ressenti en moi.
– Annie Ernaux, L’écriture comme un couteau
