
– Eleanor Roosevelt
Pendant qu’on vaque à nos occupations vous et moi, en ce printemps hésitant, nous qui avons le luxe de lire, tranquille, une chronique comme celle-ci, à l’abri et au chaud dans nos maisons, le frigo plein, la paix autour de nous, le peuple de Gaza est en train de se faire éliminé, affamé, assoiffé, bombardé.
Alors que plusieurs autres peuples vivent en guerre, sous les bombes: Ukraine, Libye, Haïti, Syrie et la liste est bien trop longue. Mais c’est à Gaza que c’est le plus criant car on voit, on sait. Et on ne fait rien. Nous sommes complices.
Alors prenons tout d’abord ce moment pour apprécier, simplement apprécier, l’infinie et unique chance que nous avons, l’immense privilège de vivre en paix. Car parfois, même ça on le tient pour acquis. Merci la vie. Merci aux gens qui se sont battus jadis pour établir un système de paix, certains en allant se battre et en perdant le vie pour le protéger. Et faisons en sorte que tout le monde vive ainsi.
Un privilège qui nous oblige à considérer ce que l’on peut faire pour placer la paix en tant que priorité sur la to do list du monde entier, dont la nôtre. À voir ce que nous pouvons faire pour attendrir nos consciences. Les rendre suffisamment sensibles pour que toute guerre devienne notre guerre, que toutes les guerres deviennent nos guerres auxquelles on doit apporter la paix. La Paix, celle avec un grand P.
Suffisamment sensibles pour que chaque mort nous fasse mal personnellement, pour sentir que même si elles se produisent loin d’ici, toutes les morts nous concernent, nous touchent, nous tuent un peu. Parce que dans les faits, chaque mort nous tue un peu, chaque mort tue un peu de notre humanité personnelle et collective.
Bien sûr, nous mourrons tous un jour. Bien sûr, bien peu que l’on puisse faire pour arrêter concrètement la guerre, les guerres. Mais vient un moment où l’on doit se mobiliser, prendre action, prendre position. Vient un moment où les mots ne suffisent plus, vient un moment où l’on doive faire quelque chose.
Mais quoi ?
Regarder pour commencer. Prendre conscience.
Puis écrire. À sa/son député.e. Même si ça ne fait pas grand chose. Car si pas nous, qui ? Et si on s’y met toutes et tous, maybe baby.
Puis poster, en parler, inonder, sur les réseaux ou ailleurs, s’opposer, garder le génocide au coeur du monde, manifester, passivement ou activement. Signer des pétitions, même si ça peut sembler banal et fleur bleue. Car même si nos moyens sont limités, ils ne sont pas nuls ni invisibles. Si tout le monde de bonne volonté s’y met.
Et, aussi, cultiver la paix en son propre coeur. Si on dit qu’on ne combat pas la paix en haïssant la guerre, on ne doit surtout pas l’accepter cette foutue guerre. Elle doit nous rendre aussi inconfortable que si elle se passait ici. Car elle se passe ici, sur cette planète, sur notre planète. Elle se passe en nous la guerre.
D’ailleurs nous nous faisons nous-mêmes la guerre ici en territoires de paix: sur les réseaux, avec nos mots mauvais – male dictions – avec nos jugements, avec nos méchants arguments les un.e.s envers les autres. Trop d’hommes qui menacent les femmes, qui abusent, qui imposent leurs idées. Trop de pornographie qui instrumentalise les corps et les âmes des femmes, des enfants même. Il y a des millions de petites guerres qui frappent partout, attaquons à celles-ci pour commencer.
Je ne veux surtout pas faire la morale à personne en écrivant ces mots ce matin et c’est surtout et premièrement à moi-même que je parle en écrivant ces quelques mots.
Mais vient un moment où l’on ne peut plus se taire, passifs et passives, et simplement regarder en se disant mon Dieu que c’est dommage. On doit se positionner et commencer à voir ce que l’on peut faire, chacun et chacune de nous, en soi, pour prendre part à cette mission humaine en cette grande marche active pour la paix qui ne peut plus attendre.
On doit commencer à laisser l’injustice bouillir suffisamment en soi-même pour commencer à attendrir nos consciences, à nous déstabiliser assez pour que la paix devienne la priorité du plus grande nombre, de tout le monde.
Peace and love ! And action…
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Gaza : dans le ventre vide du monde
Ce n’est plus un conflit. C’est une reddition organisée de l’humanité.
J’ai honte de ce que nous devenons.
Il paraît que nous vivons dans un monde qui valorise les droits humains, la dignité, la justice. Il paraît. Et puis il y a Gaza. Gaza, cette bande de terre qu’on a transformée en piège. Gaza, où des enfants meurent de faim tandis que les chancelleries s’échangent des formules creuses. Gaza, où l’on expérimente un nouveau type de guerre : avec des files d’attente pour de l’eau croupie, des hôpitaux sans morphine, et des mères qui préparent un dernier repas à base de farine avariée.
Le 7 octobre 2023. Une tuerie. Un crime. Un traumatisme collectif.
L’attaque du Hamas a été une atrocité absolue. Une tuerie délibérée de civils. Une barbarie que rien n’excuse. Rien. Pas l’occupation. Pas l’humiliation. Pas la souffrance. Israël avait le droit, et même le devoir, de se défendre. Mais il ne s’agissait pas de se défendre. Il s’agissait de punir. Longtemps. Massivement. Collectivement.
Depuis, Gaza est devenu un champ d’expérimentation pour la violence bureaucratisée. Et Benjamin Netanyahou, inculpé pour corruption, fraude et abus de confiance, gouverne en pilotant la guerre comme un échappatoire judiciaire.
Son gouvernement ? Une alliance de fanatiques religieux, de colons messianiques et de ministres qui disent tout haut ce que d’autres maquillent. Bezalel Smotrich, ministre israélien des Finances, déclarait en mars : « Gaza doit être plus qu’à genoux. Elle doit ne plus se relever. » On est donc dans la cohérence.
On meurt de faim à quelques kilomètres de la Méditerranée.
Depuis mars 2025, l’aide humanitaire terrestre est quasiment impossible. Les ONG quittent la zone ou travaillent au compte-goutte. World Central Kitchen a suspendu ses opérations après que ses camions ont été visés. UNICEF : 11 000 enfants traités pour malnutrition aiguë. Et ce n’est qu’un début. Gaza est classée en phase 5 de l’IPC, le niveau maximal d’alerte pour la famine.
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, parle sans détour :
« L’usage de la famine comme arme de guerre est une violation flagrante du droit international. »
Il ajoute :
« Les conditions sont réunies pour que cela devienne un crime de guerre. »
Mais les sacs de riz largués depuis le ciel -parfois en mer, parfois sur les têtes- suffisent, semble-t-il, à apaiser la conscience des États donateurs.
Et du côté israélien, des voix refusent la brutalité comme mode de gouvernement.
Le quotidien Haaretz écrit :
« Ce n’est plus une guerre. C’est une orgie de destruction. »
L’historien israélien Amos Goldberg, spécialiste de la Shoah, ose le mot que d’autres contournent :
« Un génocide rampant, progressif, porté par une politique de déshumanisation totale.»
Ami Ayalon, ancien directeur du Shin Bet, ne mâche pas ses mots non plus :
« Nous avons cessé de faire la distinction entre le Hamas et la population. Chaque jour, nous détruisons un peu plus notre propre humanité. »
Et pendant que des voix israéliennes s’élèvent pour défendre la morale, c’est à l’étranger que l’indifférence triomphe.
Trump jubile. L’Europe bredouille. L’hypocrisie règne.
Trump, Vance, les prédicateurs néo-apocalyptiques qui l’entourent, voient Gaza comme un épisode glorieux d’un vieux rêve biblique. Ils soutiennent, sans nuance, sans condition, sans pudeur. L’armée israélienne devient pour eux une milice sacrée.
Et l’Europe, elle, regarde. Elle regrette. Elle appelle « à la retenue ». Elle finance deux ou trois camions. Puis elle signe des contrats. Puis elle se rendort.
On nous explique que la situation est « complexe ». Que le blocus est « une nécessité stratégique ». Qu’il faut « ménager nos alliances ». Cela tombe bien : la lâcheté aussi est une stratégie.
Ce qui se passe à Gaza n’est pas une tragédie. C’est une faute. Une honte. Une complicité.
On regarde mourir un peuple. Lentement. Méthodiquement. Avec des outils technologiques dernier cri. Et des silences diplomatiques bien huilés.
À Gaza, des enfants boivent de l’eau saumâtre. Des femmes accouchent sans lumière. Des vieillards meurent sans soin. Et ce n’est pas un dommage collatéral. C’est le résultat d’une stratégie. Calculée. Étouffante. Inhumaine.
Et après ? On recommencera.
Car si on accepte Gaza, on acceptera d’autres Gaza. Ailleurs. Demain. Peut-être plus proches. Peut-être avec d’autres peuples, d’autres prétextes. Ce qui se normalise aujourd’hui fera jurisprudence demain.
Nous n’avons plus le droit de dire que nous ne savons pas. Nous savons. Et nous n’agissons pas. C’est cela, la vraie obscénité.
Alors agissons. Ou cessons de parler de morale.
Suspendons l’aide militaire à tout gouvernement qui affame. Exigeons l’ouverture d’un corridor humanitaire terrestre sous mandat international. Cessons de vendre des armes à ceux qui ciblent des civils. Et soutenons, activement, les procédures devant la Cour pénale internationale.
Cela coûtera. En relations diplomatiques. En tensions. En courage politique. Mais ce sera le prix de ne pas avoir tout à fait perdu notre humanité.
À Gaza, ce n’est pas seulement un peuple qu’on assassine. C’est le droit. La morale. Et le silence des puissants en est le complice.
Et si un jour, à défaut d’avoir agi maintenant, nous nous demandons comment cela a pu arriver, il faudra se souvenir de cette époque : celle où on savait. Et où on a regardé mourir, les bras croisés, avec un sourcil levé.
– Rudi Demotte
