MOTS D’EN CRIER

Le vieil homme, qui chantait en solo dans sa tente à Rafah, n’a rien laissé derrière lui, même pas la tente, même pas sa voix.
– Mohammed Moussa

Ce matin, pas d’inspiration claire qui ne monte de soi, simplement un désir de donner parole à ceux et celles qui n’en ont pas. Ceux et celles qui n’ont pas le luxe d’écrire car écrire est un luxe de privilégié.e.s.

Écrire alors pour ce vieil homme de Rafah, pour qu’il sache, ou pas, qu’on ne l’oublie pas. Comme des milliers d’autres, des millions d’autres, hommes, femmes et enfants, plus ou moins jeunes. Comme il y en a tant aussi en Afrique, au Liban et en Syrie, à Haïti et en Libye. Nos frères et nos soeurs de chair, silencieux dans le malheur. Écrire pour eux et elles aussi car nos cris ne sont pas entendus de toute façon.

Alors les sortir de l’encrier de sa conscience. On vous voit, on vous entend.

Écrire c’est crier en soupirant, en chuchotant. C’est coucher des mots sur un écran, un écrin de mots. Tout doux les mots pour exprimer la rage devant l’injustice et la folie humaine.

Pas juste envie d’écrire pour écrire même si c’est toujours un peu ce que l’on fait au fond quand on écrit. On écrit pour écrire, pour se dire, pour exprimer. Car sinon on réprime, déprime en prime.

La mort encore fraîche d’un ami en mémoire donne une certaine relativité sur la réalité de ce dit monde. Ces mots dits monde. Trève de maux du corps pour notre ami. Un monde de petit mondes, une foule de sens.

Jung dit qu’il n’y pas de conscientisation sans douleur. Ah bon. On aimerait que ça soit autrement mais possiblement que c’en est ainsi. Car vivre en corps est parfois douloureux. Surtout avec le temps qui passe dans ces corps vieillissants. Mais en même temps, on dit que le temps arrange tout. Allez savoir.

Le temps est harangue si on tente de l’écrire ou de le décrire trop pompeusement.

Bien qu’aucun mot ne puisse dire ce qui veut vraiment se dire, ce qui doit se dire, écrire quand même. Écrire dans le beurre, écrire dans le vide. Décrire le vide en le bourrant de mots. Et bla bla bla la vie, par-dessus le silence de la mort.

Écrire alors que tout un peuple se meurt de faim et de soif devant nos yeux, bien qu’on ne veuille trop nous le montrer car nous sommes tous complices de ce génocide moderne. Peut-être pas coupables mais sûrement complices. Et impuissant.e.s. Et continuer nos petites vinaigrettes douillettes. Quelle salade.

Écrire alors que le soleil se lève encore ce matin, avec tant de beauté et de vie qui côtoie la face cashée de l’ombre.

Écrire alors que dimanche c’était la tempête et, qu’hier, l’été fut. heureux d’un printemps que la moitié du monde ne connait pas ni ne peut même imaginer.

Écrire même si one sait pas ou plus pas quoi dire. Écrire l’indescriptible. Et pas. À pas. Ou pas.

Écrire sa frustration devant un monde inégal, superficiel et égoïste. Un monde en mode auto-destruction. Et l’aimer quand même car ce monde est composé de gens, de personnes, d’humain.e.s. Des gens de coeur même si la tête, la colère et les peurs ont pris le dessus et le dedans de certain.e.s.

Tenter d’écrire alors que Minn ne veut que se faire flatter elle. Chacun.e ses priorités. Miow. Sur mes cuisses.

Écrire pour tenter d’infuser un peu de sens dans sa propre existence, ce qui se traduira peut-être – ou pas – par un peu de sens aussi chez ceux et celles qui tombent sur ces mots. Ou pas. Alors ils tomberont dans le vide, là où tout existe aussi.

Écrire pour éclairer un peu ce monde obscur même si ensolleillé, un monde où se côtoie beauté et laideur, bonté et méchanceté, vie et mort dans un grand Tango qui requiert plus d’eux, et d’elle et de nous, qui exige que tout danse ensemble même si maladroitement.

Écrire et constater sa propre impuissance sale devant les drames humains, et réaliser que l’humilité est réellement le symbole de la noblesse comme le dit sit si bien Mestre-Conselheiro Luiz Mendes.

Écrire pour voir jusqu’où nos mots veulent, ou peuvent, nous mener au-delà notre propre nez. Au bout de soi, au bout du monde. Au bout des mots.

Toi, vieil homme à Rafah, quelqu’un pense encore à toi ici, d’ici, et t’entends.

___
Écrire, c’est comme craquer une allumette au cœur de la nuit en plein milieu d’un bois.
Ce que vous comprenez alors, c’est combien il y a d’obscurité partout. 
Écrire ne sert pas à mieux voir.
Chaque mot sert seulement à mieux mesurer l’épaisseur de l’ombre.

– Inspiré de William Faulkner via Daniel Soula

Laisser un commentaire